Modification 1 le 26 septembre 2019
Smaïl Goumeziane, ancien ministre du Commerce d’Algérie (1989-1991), docteur en sciences économiques, est spécialiste de l’économie du développement, notamment en Méditerranée.
Enfant de l'immigration, venu de Kabylie en France avec ses parents à l'âge de 5 ans, Smaïl Goumeziane est aussi fils de Novembre, pour avoir vécu la guerre d'Algérie à travers la presse dont il faisait la lecture à son père illettré. Après l'obtention du baccalauréat, Smaïl Goumeziane retourne " au bled ", persuadé que l'on a besoin de lui dans la bataille du développement.
Après avoir occupé diverses fonctions, il est nommé Ministre du Commerce en septembre 1989, dans le gouvernement réformateur de Mouloud Hamrouche, très vite en butte à l'hostilité des conservateurs. Après l'assassinat du président Boudiaf, c'est pour Smail Goumeziane un nouvel exil en France...
Il est actuellement professeur associé à l’ISM (Institut Supérieur de Management) de Dakar-Sénégal.
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Statue d'Ibn Khaldoun à Tunis |
Issu d'une grande famille andalouse d'origine yéménite et chassée de la péninsule ibérique par la Reconquista, Ibn Khaldoun naît à Tunis à l'époque dominé par une dynastie berbère, les Hafsides. Le Maghreb connaît alors une paix relative cependant que la chrétienté médiévale sombre bientôt dans la guerre de Cent Ans et l'arrivée de la Grande Peste.
Au cours d’une vie tumultueuse, Ibn Khaldoun a parcouru les royaumes berbères du Maghreb et a séjourné en Andalousie. Acteur clé de son temps, il a été tout à tour ministre, professeur, juge, diplomate et savant.
Dans son œuvre majeure, Le Livre des exemples, il raconte l'Histoire universelle à partir des écrits de ses prédécesseurs, de ses observations au cours de ses nombreux voyages et de sa propre expérience de l'administration et de la politique. L'introduction, intitulée la Muqaddima, expose sa vision de la façon dont naissent et meurent les empires.
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L'HOMME POLITIQUE ET LE SAVANT
Originaire d'une famille yéménite bédouine, les Hadramaout, venant vers l'ouest accompagner l'expansion de l'Islam, le jeune Ibn Khaldoun a une enfance dramatique : ses deux parents sont emportés par la peste.
Il parcourt un Maghreb politiquement très mouvementé, où il se fait des ennemis. Il se rend ensuite à Séville, pour une mission de paix avec le royaume de Castille, et constate que le monde a été déstabilisé par cette épidémie de peste.
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Un des 13 djeddars de Frenda |
Il retourne au Maghreb. Il a alors 32 ans, et il y est acclamé, mais aussi jalousé par ceux que son charisme dérange. Finalement il s'installe dans la forteresse de Beni Salma à Frenda, où il commence à écrire. ( À Frenda se trouvent 13 pyramides datant de plus de 16 siècles ). Puis il se rend à Tunis où il entame une vie de professeur.
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Tamerlan |
Puis il obtient du Sultan la permission de faire le Hadj à la Mecque, et il part pour l'Égypte où il est chaudement accueilli, mais aussi jalousé. Un drame : sa famille qui le rejoignait périt dans un naufrage. Et Tamerlan, le chef guerrier mongol, est aux portes de la ville. Ibn Khaldoun est chargé de négocier avec lui. En fin diplomate, il conquiert l'amitié de Tamerlan. Mais celui-ci laisse son armée dévaster Damas.
En conclusion Ibn Khaldoun a été novateur dans des concepts opérationnels tels que l'esprit de clan, la civilisation, la coopération, la modération et l'injustice. Il est regrettable qu'il n'ait pas été apprécié à sa juste mesure.
L'HISTORIEN
Pour Ibn Khaldoun, l'Histoire n'aurait été considérée que comme le récit des événements politiques, alors que pour lui, elle consiste à méditer, à s'efforcer à accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à connaître à fond le pourquoi et le comment des événements et, en final, tout ce qui caractérise la civilisation.
À l'origine, les êtres humains sont soumis à la transhumance que leur imposent leurs activités pastorales. Pour se procurer d'autres richesses, le confort et le luxe, ils deviennent sédentaires. Les villages deviennent des villes.
L'esprit de clan, très fort chez les Bédouins, peut s'affadir en quatre générations. D'où les luttes incessantes pour le pouvoir. Mais "quand un peuple se sédentarise dans les plaines fertiles et amasse les richesses, il s'habitue à l'abondance et au luxe, et son courage décroit".
Comme il est impossible, selon lui, de recourir en même temps à deux chefs pour diriger la société (un imam et un roi), il n'y a pas d'autre choix que la monarchie. Il ajoute que, prétendant au poste de calife, tout candidat devait présenter cinq qualités : science, probité, compétence, absence de tout défaut de jugement et descendre de la tribu du Prophète.
Par extrapolation à toute société humaine, il estime que les hommes ont absolument besoin d'une personne qui leur fasse faire ce qui est bon pour eux et qui les empêche, de force, de faire ce qui peut leur nuire.
Pour échanger, il faut produire au-delà de ses besoins ; et le pillage sans contrepartie ne convient plus. La propriété n'est garantie que par le respect des lois. Sinon, chacun convoiterait le bien d'autrui. Mais l'économie marchande génère le luxe, le gaspillage et la domination d'un groupe social par un autre.
Et d'ajouter : "Pour protéger les villes des mauvaises conditions atmosphériques, on veillera à choisir l'emplacement dans une région où l'air est bon et pur ...". La pollution atmosphérique est bien à l'ordre du jour du XXIème siècle !
L'ÉCONOMISTE
Dans sa réflexion, Ibn Khaldoun dégage plusieur principes :
1 - L'homme est condamné à se nourrir ;
2 - L'homme est fait pour vivre en société ;
3 - Les besoins des hommes sont évolutifs ;
4 - L'homme ne cesse de perfectionner les arts ;
5 - Avec la complexification de la vie sociale, les hommes ressentent le besoin d'un "régulateur" ;
6 - La vie sociale crée des injustices, car toute classe sociale exerce le pouvoir sur les classes inférieures.
Il ajoute : "Les Arabes sont des bédouins invétérés, plus éloignés que personne de la civilisation sédentaire, de ses arts et de ses œuvres. Au contraire les Orientaux étrangers et les Francs de la Méditerranée sont très versés en ces matières, à cause de leur vieilles civilisations sédentaires et de leur extrême éloignement de la vie bédouine ..."
Selon lui, le travail n'est recherché que parce qu'il permet de "gagner sa vie". Mais aussi parce qu'il permet d'obtenir un surplus par rapport à ses besoins. La division du travail se situe au cœur de sa théorie : aucun homme ne peut exister pleinement par lui-même, mais le travail humain ne peut être productif que s'il s'appuie sur la propriété privée. Sont injustes ceux qui attaquent le droit de propriété et ceux qui dépouillent les autres de leurs biens.
Suit une réflexion très moderne sur l'économie de marché, sur la spéculation, la monétarisation de l'économie. Au temps d'Ibn Khaldoun, la société maghrébine est profondément inégalitaire, ce qui nourrit en quelque sorte sa réflexion.
LE MAGHREB AU CŒUR DES CONFLITS
À plusieurs reprises, Ibn Khaldoun tire la sonnette d'alarme pour annoncer le déclin des royaumes maghrébins, ceci en prémices du moment où le monde connaît une formidable mutation : découverte du Nouveau Monde et de nouvelles routes commerciales évitant la Méditerranée, révolution industrielle, développement bancaire et financier ...
Pendant tout le XVème siècle, le centre de gravité politique et économique du Maghreb se déplace à Tunis. Mais cela ne dure pas. Pour se débarrasser des corsaires turcs, Kheir Eddine Barberousse a "l'idée de génie" de lier son pouvoir à celui de l'empire ottoman, ce qui a pour conséquence une colonisation turque du Maghreb, avec soldats turcs et milice des janissaires.
La multiplication des actes de pirateries suscite l'hostilité des pays européens (sauf la France qui a conclu un accord avec la Sublime Porte). L'auteur du livre, Smaïl Goumeziane "glisse"un peu sur les causes de l'intervention française en Algérie de 1830.
Les interventions politiques, techniques et commerciales européennes façonnent un processus qu'avait étudié Ibn Khaldoun.
IBN KHALDOUN ET LE SIÈCLE DES LUMIÈRES
La philosophie des Lumières révèle à quel point Ibn Khaldoun a été un précurseur de génie.
En guise de conclusion, l'auteur montre qu'Ibn Khaldoun est finalement un auteur moderne en appelant à la bonne gouvernance sur le moyen et le long terme en ces termes :
"La politique est l'art de gouverner une famille ou une cité conformément aux exigences de la morale et de la sagesse, afin d'inspirer à la masse un comportement favorable à la conservation et à la durée de l'espèce".
Smaïn Goumeziane, ancien ministre algérien, a eu du mal à faire apprécier le génie d'Ibn Khaldoun aux politiciens algériens. Mais, en 2019, le peuple algérien marche dans les pas de ce génie. Nous lui ferons finement remarquer que Ibn Khaldoun est aussi un précurseur de l'Association supranationale et confédérale "Pour l'Union des Méditerranéens".
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Extrait d'un manuscrit d'Ibn Khaldoun |