mardi 28 mars 2017

L'INVASION DE LA MER





Création le 8 juin 2017

Jules Verne préparait des romans d'avance à l'attention de son éditeur pour assurer ses vieux jours. Et il les proposait au mieux de l'air du temps. L'invasion de la mer fut le dernier roman ainsi proposé avant son décès en 1905, avant de laisser sept œuvres posthumes, parus de 1905 à 1910 ! L’explication est que l’éditeur Hetzel, ne bénéficiant plus de l’engouement du public pour les premières œuvres de Verne, n’en publiait plus que deux volumes par an, alors que l’écrivain en écrivait toujours trois dans l’année …

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Qui est Hadjar ? Un jeune Targui opposé à la création d’une mer « artificielle » au Sahara, que les « Roumis » veulent créer et qui pourrait spolier la population. Hadjar a été emprisonné dans le bordj de Gabès en tant que « voleur de grand chemin », ce qu’il est quand même (Touareg = brigands de nuit). Sa mère, Djemma, veut le faire évader. Son crime : avoir trahi puis assassiné une expédition scientifique dirigée par un Belge : Carl Steinx.

Le projet de mer intérieur, défendu par le capitaine Roudaire devait nuire aux tribus touareg, les priver d’une grande partie de leurs bénéfices en réduisant le trajet de leurs caravanes … et en rendant plus rares leurs agressions coutumières ! La famille des Hadjar appartenant à la tribu des Ahaggar, une des plus influentes de la région des Chotts (ou sebkha) prend la tête de la révolte.

Une expédition punitive est organisée par les autorités françaises, Hadjar est fait prisonnier, le croiseur « Chanzy » mouille dans le Golfe de la Petite Syrte et va le conduire jusqu’à Tunis …

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L’évasion de Hadjar se prépare. Son audace égale son intelligence. Ces qualités, il les tient de sa mère, comme tous ces Touareg qui suivent le sang maternel. Parmi eux, en effet, la femme est l’égale de l’homme. C’est à ce point qu’un fils de père esclave et de femme noble est noble d’origine, et le contraire n’existe pas.

Vers minuit, Hadjar s’échappe du bord par une issue dérobée et rejoint un canot où l’attend sa mère. Au petit matin, son évasion est connue, et des recherches sont faites en vain aux environs de l’oasis.

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Une conférence fait grand bruit à Gabès : sont rappelées les histoires et les légendes qui témoignent de la présence d’une mer intérieure communiquant avec le golfe de Gabès. Un mouvement approbatif se fait entendre dans l’auditoire, tous les regards se portent sur une carte.



L’auditoire peut embrasser sur la carte l’ensemble des dépressions parmi lesquelles le Rharsa et le Melrir, presque entièrement inondables, qui devraient former la nouvelle mer africaine. Les applaudissements éclatent de toutes parts au nom de l’officier français (le capitaine d’état major Roudaire) auquel sont associés les noms de M. Freycinet, Président du Conseil des Ministres, et de M. Ferdinand de Lesseps. Mais le projet de 15000 km2 inondables se réduit à 8000, la partie tunisienne se trouvant au-dessus du niveau de la mer, nécessitant le creusement d’un canal de 227 km en Tunisie.

Jules Verne poursuit la conférence de M. de Schaller : « Messieurs, l’échec arriva, par suite d’imprévoyance et de faux calculs, et la compagnie Franco-étrangère fut obligée de déposer son bilan. Depuis lors, les choses sont restée en l’état et c’est de la reprise de cette œuvre que je me suis proposé de vous entretenir. »

Monsieur de Schaller, un centralien, est réputé calculer tout « jusqu’à la dixième décimale ». « Puisque Schaller en est, l’affaire ne peut être que bonne ! » répètent à l’envie ceux qui le connaissent.

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Revenons à nos Touareg. Une expédition, destinée à tout vérifier, est organisée. Mais un projet de cette ampleur risquerait de ruiner par un commerce gigantesque l’économie des tribus touareg. « De quel droit, prêchaient les marabouts, ces étrangers veulent-ils changer en mer nos oasis et nos plaines ? La Méditerranée n’est-elle pas assez vaste pour qu’ils tentent d’y ajouter l’étendue de nos chotts ? … Il faut avoir anéanti ces étrangers avant qu’ils aient noyé le pays qui nous appartient, le pays de nos ancêtres, par l’invasion de la mer !… »

L’expédition va donc s’effectuer sous la protection d’une escorte de spahis sous les ordres du capitaine Hardigan - 32 ans, intelligent, audacieux - et ses hommes, autant par affection que par reconnaissance, sont en mesure de se dévouer pour lui jusqu’au sacrifice : il peut tout attendre d’eux, car il peut tout leur demander.

Outre les spahis, le détachement comprend deux chariots traînés par des mules et transportant les objets de campement et les vivres de la petite troupe. Départ le 17 mars, avant les grandes chaleurs. C’est à l’embouchure de l’oued Mellah que le canal doit prendre naissance. L’objet de l’expédition est de se rendre compte de l’état présent des travaux déjà entrepris. La traversée de l’oasis de Gabès se fait au milieu d’un pays charmant. La présence de Hadjar n’est signalée nulle part. L’expédition s’arrête à Tozeur le 30 mars … Tozeur, le pays des dattes et du vin de palme, appelé le lagmi.

Ce que les nomades craignent, c’est le changement de climat, une œuvre de sorciers pouvant amener un épouvantable cataclysme … Ils attribuent les travaux du canal à l’œuvre de Cheytân, le diable musulman !

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Tout va donc pour le mieux jusqu’à ce que la petite troupe aperçoive, à trois ou quatre kilomètres environ un épais nuage de poussière à la surface du chott Rharsa : caravane ou troupeau fuyant quelque danger ? Trois minutes plus tard des détonations éclatent. Défense contre une attaque de fauves ou pillards ? C’est bien une caravane attaquée par des pillards. Les spahis foncent, les pillards s’enfuient. Le chef de la caravane est soulagé.

Le second canal réserve une surprise : les ouvriers qui devaient attendre l’expédition ne sont pas au rendez-vous. Mais deux Touareg sont dissimulés, ceux-là même qui ont pris part à l’évasion de Hadjar. Et un peu plus loin, le canal a été bouché sur une centaine de mètres au kilomètre 347, et toujours pas de trace des ouvrier … Que faire ? Aller chercher du renfort à Biskra ?

Un indigène apparaît, c’est Mézaki, un ancien ouvrier du canal, qui raconte que son campement a été attaqué par une bande de quatre à cinq cents Berbères. L’expédition poursuit son chemin avec Mezaki, à la recherche des ouvriers, alors que l’orage commence à gronder et se déclenchent un vent violent et une pluie torrentielle. En pleine tempête Mézaki disparait et quelques heures plus tard, une partie de l’expédition est faite prisonnière par une trentaine d’assaillants, commandés par Hadjar en personne.

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Le capitaine Hardigan et Monsieur de Schaller visitent leur nouvelle prison à l’oasis de Zenfig, en méditant des plans d’évasion. On leur apporte de la nourriture. Quelques jours plus tard, des centaines de Touareg se réunissent dans l’oasis, applaudissement au  discours de Hadjar. Pendant la nuit, les prisonniers trouvent un passage souterrain et s’enfuient. Les fugitifs se nourrissent de dattes, et s’efforcent d’atteindre Goléah. Une nuit, leur bivouac est menacé par des lions ! En fait ces lions se disputaient à propos d’une antilope … une bonne occasion de manger de la viande.

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Le petit groupe aperçoit une espèce de dune boisée, un tell, qu’il faut atteindre par un sol spongieux avant la nuit. Le chien d’un des membres du groupe montre la voie en donnant de la voix. Il est à peu près minuit lorsque des rumeurs se font entendre. Ce sont des rumeurs souterraines, fréquentes dans ces régions de sol instable. Mais l’eau qui couvre maintenant le chott, c’est de l’eau de mer ! Parfois, il se produit des secousse si violentes que les arbres se courbent et menacent de se déraciner. Invraisemblable : les eaux du golfe ont envahi le chott et transforment le tell en ilôt !

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Chapitre XVII - DÉNOUEMENT

Une sorte de brouillard s’étend au-dessus et autour de la dune. Lorsqu’il se lève, l’eau est partout, un spectacle terrifiant : une centaine de fauves et de ruminants et de fauves  fuient au loin à toute vitesse et disparaissent dans un tourbillon de poussière. Des bandes de flamands détalent et des milliers d’oiseaux fuient à grands coups d’aile vers les rives du Melrir. C’est un tremblement de terre qui a fait son œuvre.

Et puis une troupe de cavaliers sort d’un nuage de poussière. C’est Hadjar qui veut échapper aux tourbillons d’un monstrueux mascaret … Cette centaine d’hommes sont rejoints par un flot d’écume. Cavaliers et chevaux disparaissent.

Le jour reparaît. Quelle nuit ! LeMelrir est devenu un lac. En fin de journée : « Une fumée ! » C’est un navire. Il ne reste plus qu’à lui faire des signaux. Le feu aux arbres ! À l’instant, le briquet est battu. La nuit s’écoule sans rien de plus.

Aux premières blancheur du matin, un petit bâtiment est mouillé à deux milles, arborant le pavillon français. C’est l’aviso Benassir, de Tunis. L’excitation est à son comble. La foule à Gabès est enthousiaste, et tout est bien qui finit bien.

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Jules Verne s’en est bien tiré. Mais de romancier est-il devenu prophète ? La suite dans de prochains articles.