Création le 18 novembre 2015
À propos de Mahomet et de l’Islam, Voltaire écrivait :
« De tous les législateurs qui ont fondé des religions, il est le seul qui ait étendu la sienne par les conquêtes. D’autres peuples ont porté leur culte avec le fer et le feu chez les nations étrangères ; mais nul fondateur de secte n’avait été conquérant. Ce privilège unique est aux yeux des musulmans l’argument le plus fort que la Divinité prit soin elle-même de seconder leur prophète. »
Chercheure en littérature et civilisation française. Enseignante à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, Mahbouba Saï Tlili a publié en 2009 un ouvrage qui se situe dans le prolongement d’une réflexion entamée depuis les années 1980 à l’Université de Tunis. Lorsqu’en 1736, Voltaire présenta la pièce théâtrale « Le fanatisme ou Mahomet le Prophète », celle-ci n’eut que quatre représentations et fut aussitôt interdite suite aux querelles entre le Parlement et le Clergé, les dévôts et les libertins
Si dans sa « lutte contre l’infâme » Voltaire a confondu souvent les trois religions, il n’empêche que l’historien reste vigilant et fait la part des choses pour écrire l’histoire de l’Islam
(D’après le préfacier, Hédia Khadhar)
Voltaire précisa sa pensée en 1748 dans un article sur le Coran paru à la suite de sa tragédie de Mahomet : « Si son livre est mauvais pour notre temps et pour nous, il était fort bon pour ses contemporains, et sa religion encore meilleure. Il faut avouer qu’il retira presque toute l’Asie de l’idolâtrie »
C’est l’histoire posthume de Voltaire qu’il est passionnant d’interroger, surtout lorsqu’il s’agit de questions d’actualité comme celle qui touche le rapport de l’Occident à l’Islam. Déjà, au début de sa carrière de philosophe, en 1727, il pense que « la religion juive est la mère du christianisme, et la grand-mère du mahométisme. » Autre pensée de Voltaire sur l’Histoire : « Trois choses influent sans cesse sur l’esprit des hommes , le climat, le gouvernement et la religion : c’est la seule manière d’expliquer l’énigme de ce monde. »
L’Islam est donc étudié comme un affluent de la marche humaine. en deux périodes, la période arabe, féconde et civilisatrice pour l’Orient, mais aussi pour l’Occident et la période turque qui inaugure le début du déclin du monde musulman quoi que les Turcs soient considérés, eux-aussi, comme de véritables conquérants dans la mesure où ils ont eux-mêmes agrandi l’empire de l’Islam.
L’Islam est né dans une région qui lui était d’abord hostile. Il a été mal accueilli dans la Mecque, la ville natale du Prophète. Ce qui a produit une première migration vers un nouvel espace : Médine.
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Médine, la "ville lumineuse" |
Voltaire évoque l’Arabie d’après les récits de voyage, mais aussi y ajoute une touche poétique : « Quand on avance quelques miles dans les terres, soit à l’orient de Moka, soit même à l’orient de la Mecque, c’est alors qu’on trouve le pays le plus agréable de la terre. L’air y est parfumé, dans un été continuel … » (Voltaire occulte ce qu’il ne veut pas voir : les zones désertiques et non hospitalières, qu’il qualifiera plus tard de pays affreux, qui contient neuf à dix mille voleurs errants ! Et vlan !) Mais en ce qui concerne l’Arabie heureuse, il rejoint Diderot et les philosophes due XVIII ème siècle. L’Arabie heureuse, c’est le Yemen (et l’Oman !), dont les Bédouins ont une image de gens tolérants, et qui n’appliquent pas strictement les règles religieuses, contrairement aux musulmans sédentaires et habitants des grandes villes.
Le point de départ est la fuite de La Mecque, où « il avait encore seize disciples en comptant quatre femmes ». Voltaire s’étonne de la confiance et de l’ambition de Mahomet en son destin. Puis l’espace gagné par l’Islam grandit de jour en jour, et chaque pays voit sa situation s’améliorer par les « conquérants » qui transforment son architecture et sa mentalité : c’est la culture de la tolérance qui y est initiée. En fait, Voltaire n’a jamais visité ces régions et ses connaissances sont purement livresques.
Le premier préjugé à combattre par Voltaire est le suivant : les Musulmans sont un peuple intolérant, violent et « barbare ». Il le note à chaque fois : les Musulmans n’ont jamais détruit de villes, bien au contraire, ils en ont construit un grand nombre. Dans le récit de la prise de Constantinople par le sultan Mohammed II, Voltaire dit que ce sultan « voulait avoir la ville et ne point la saccager, la regardant déjà comme son bien qu’il ménageait. ». Au sujet du canal de Suez : « Un gouverneur d’Égypte entreprend ce grand travail sous le califat d’Omar, et en vient à bout. »
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Prise de Jérusalem par les Croisés |
Une anecdote que raconte Voltaire : « Dans une bataille entre l’armée d’Héraclius et celle des Sarrasins, le général mahométan est capturé. Les Arabes en sont épouvantés. Un de ses capitaines leur dit « Dieu est vivant et vous regarde : combattez ! » Il leur fait tourner tête et remporte la victoire. »
Voltaire assimile les religions à des opinions, c’est à dire des croyances partagées par un groupe ou un peuple et qui peut changer ou évoluer suivant les époques et les circonstances. Et finalement, que pense Voltaire de Mahomet ? « Il avait une éloquence vive et forte, dépouillée d’art et de méthode, telle qu’il la fallait à des Arabes ; un air d’autorité et d’insinuation, animé par des yeux perçants et par une physionomie heureuse ; l’intrépidité d’Alexandre, sa libéralité, et la sobriété dont Alexandre aurait eu besoin pour être un grand homme en tout. »
Il fait une comparaison saisissante de Mahomet avec Jésus : « l’homme terrible et puissant » fondera une religion tolérante, alors que « l’instituteur divin » humble et charitable léguera « la plus intolérante des religions ». Pour le motif que Mahomet n’est pas sacralisé par une religion, contrairement à Jésus.
Il y a quand même un os : l’Islam est-elle une religion persécutante ? D’après Voltaire, les musulmans n’obligent pas les gens à croire, ils ne les accablent pas inutilement des chaînes de l’esclavage, et ils ne persécutent pas les peuples vaincus … Ne ferait-il pas un curieux assaut de parti pris ?
Dans le chapitre VII de l’Essai, Voltaire se propose de montrer que la religion musulmane « n’est point nouvelle » et que ses préceptes sont les copies des pratiques et des rites des religions antérieures. Il procède ainsi : il divise les rites musulmans en ordonnances positives et en ordonnances négatives ; les positives : la circoncision, la prière, les pèlerinages les ablutions, le jeune, l’aumône. Les négatives : boire du vin, l’interdiction de manger du porc, du sang, des bêtes mortes de maladies … Mais d’ajouter sournoisement que Mahomet ne prévoyait pas que cette loi deviendrait un jour presque insupportable à ses musulmans dans la Thrace, la Macédoine, la Bosnie, et la Servie.
Il ne savait pas que les Arabes viendraient un jour jusqu’au milieu de la France, et les Turcs mahométans devant les bastions de Vienne. La conclusion de Voltaire est qu’il semble que Mahomet n’ait formé un peuple que pour prier, pour peupler et pour combattre.
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Danseuses orientales - Mohamed Racim |
Mais Mahbouba Saï Tlili - qui est quand même une femme ! - note que l’attitude de Voltaire est plutôt de valoriser l’islam pour dévaloriser le christianisme, et est le résultat d’une conception personnelle, tout autant qu'une arme de lutte contre les préjugés de l’époque.
La conclusion du livre est que Voltaire a eu une réelle sympathie pour les Arabes, et il est admiratif d’une « civilisation » qui a envahi le monde dans un temps record, etc... Ceci pour montrer que la religion chrétienne n’est plus la seule et unique voie vers Dieu.
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Pour autant, Voltaire ne s’est pas fait mahométan !