Création le 8 mai 2014
Le 4 octobre 2012 à Tunis, Jean-Michel Monod, chef de la délégation du CICR ( Comité International de la Croix Rouge ) et Mohamed Ben Ahmed, Conseiller de ladite délégation, rendaient publique la réédition de la "Régence de Tunis".
On peut voir la vidéo du blog consacrée à Henry Dunant en Tunisie (enregistrée en novembre 2010, quelques jours avant la révolution de Jasmin ) :
http://cicr.blog.lemonde.fr/2012/10/09/henry-dunant-la-regence-de-tunis-reeditee/
Ce journal de voyage, c'est plus que de la sympathie pour le peuple tunisien, c'est de la complicité ! Dur, dur de faire une recension dans ces conditions. Pendant ses six mois de présence en Tunisie, Henry a tout collectionné sur tout. L'édition dont nous faisons la recension est celle publiée en 1975 par la Société tunisienne de diffusion.
Tout d'abord une préface d'Anoure Louca "pour comprendre la notice sur la Régence de Tunis". Elle précise très justement que la sympathie de Dunant pour le cadre physique du pays s'étend à tous les êtres vivants qu'il renferme. L'hospitalité n'est pas un vain mot en Tunisie, et tous se disputent pour mieux accueillir l'hôte étranger. L'hôte est sacré, car c'est l'hôte de Dieu, et, comme le dit plaisamment, l'Occident a par exemple transformé "God be with you" en "Good bye".
De même, le bey, siégeant en son trône patriarcal, "rend personnellement justice tous les lundis, mardis, mercredis et samedis" et l'Arabe, avec sa facilité d'élocution, interpellent Dunant par leur sens démocratique. Et curieusement, signe prémonitoire, le croissant figurait, flanqué de deux étoiles, au milieu du blason genevois de la famille Dunant.
Henry ne prend plus sa référence dans une société trop localisée, pour que les retrouvailles de la famille humaine s'accomplissent avec le moins possible de chocs, de blessures et de malentendus.
HISTOIRE DE LA TUNISIE
Après les heurts Numides/Carthaginois versus Romains, Arabes versus Byzantins, puis la conquête musulmane avec ses révoltes et intrigues de palais, on notera que Tunis, en général, ne se livrait pas comme Alger à la piraterie, que les esclaves chrétiens étaient moins nombreux et plutôt bien traités, et que l'abolition de l'esclavage des Blancs fut décrété en 1814, et celle des Noirs en 1837 ( 1848 pour la France ).
Les récents beys : Ahmed bey et Mohamed bey ont le droit à un coup de chapeau pour leur sagesse, leur intelligence, leur esprit de justice et d'équité. Les étranger sont reçus avec toute sorte de courtoisie et de politesse.
LA VILLE DE TUNIS
Tunis est surnommée "La Glorieuse", "La Verdoyante", "Le Séjour de félicité", "La Florissante", etc. Suit une description "photographique" des différents quartiers et palais. À noter le palais de ville du souverain ( Dar-el-bey ) où, parmi les nombreux mobiliers et tableaux, "les batailles de Napoléon Ier occupent une grande place, car cet empereur est resté en vénération auprès des Orientaux". C'est un véritable guide touristique.
LA COUR
Fastueux, le palais de la Marsa, construit par Mohammed Bey, où les appartements habitées par les princesses, inaccessibles, dont l'entourage est composé de plus de mille personnes.
Le bey reçoit souvent dans une vaste galerie de style mauresque aux vitraux de mille couleurs, lesquels contribuent à donner aux arabesques du plafond et des parois un aspect fantastique. Le souverain, qui aime les arts et les objets de goût donne quelquefois des sommes considérables pour tel ou tel gracieux ou riche bijou venant de Paris ou de Genève ; cet exemple est suivi par les seigneurs du pays.
GOUVERNEMENT ET JUSTICE
Le bey est complètement indépendant de la Porte ottomane. Le Bardo est le siège du gouvernement. Le monarque, seul, a le droit de condamner à mort. Suit une liste étonnante de peines de mort, suivant la nationalité des criminels :
- Les Koulouglis et les Turcs sont étranglés ;
- Les Maures ont la tête tranchée ;
- Les Marocains sont pendus ;
- Les militaires sont fusillés ;
- Les femmes sont mises dans un sac rempli de pierres et jetées à l'eau ;
- Les Juifs sont brûlés.
Le Prince, avec l'intelligence et la sagacité qui le caractérisent rend une justice prompte et équitable qui dénote un coup d'œil exercé à discerner le vrai du faux. C'est toujours gratuitement que la justice est rendue.
ARMÉE, MARINE, IMPÔTS
Les beys entretenaient une armée de l'ordre de 30 000 soldats réguliers et jusqu'à 80 000 irréguliers en cas de guerre. Après une description des uniformes, on a le droit à la liste des grades : le général de division s'appelle Férick jusqu'au soldat qui s'appelle Askri. La seule décoration pour le mérite, civil ou militaire est le Nicham tunisien ( l'ordre de l'honneur ).
Mannequins du Musée de l'Armée de Tunis
Si Tunis n'a pas une marine considérable, c'est que jamais cette ville ne s'est livrée à une piraterie continue comme Alger … Les impôts sont prélevés sur tout le peuple. À Tunis, chaque homme paie trois piastres ( environ 45 sous ) par mois comme impôt personnel. En outre tous les magasins ont un droit à payer.
Si les tribus du sud ont quelques réticences à payer, le bey envoie des "camps" pour percevoir les contributions.
"Le retour de chaque "camp" est l'objet d'une grande fête : un peuple immense est rassemblé dans les environs du Bardo : les Maures dans leurs carrosses, les Juifs entassés dans d'espèces d'omnibus, les Européens à cheval ou en voiture. Un très grand nombre de femmes, voilées, font toutes entendre à la fois, pour témoigner leur joie, un cri particulier, espèce de trille aigu sur la syllabe you ! you ! lequel dure environ deux minutes et finit simultanément et brusquement. Ce cri prolongé et perçant est produit par le gosier qui est frappé légèrement, mais à coups redoublés, avec la main droite".
La cérémonie terminée, les chameaux chargés d'argent et de marchandises rentrent à Tunis.
Tous les trois ou quatre ans, le bey passe une grande revue. Les cavaliers défilent, homme après homme ( un peu comme les anciennes "montres" bretonnes ). Chaque homme reste ainsi deux ou trois minutes devant le pavillon du bey, qui fait connaître sa décision par un simple signe. Si le cavalier est accepté, un serviteur coupe le bout des crins de la queue du cheval. Si le cheval n'est plus bon pour le service, le bey le fait remplacer par un autre cheval de son écurie.
CLIMAT ET PRODUCTIONS - INDUSTRIE ET COMMERCE
Le climat de Tunis est extrêmement salubre, ce qu'on peut attribuer à la position admirable de la ville et peut-être aux marais salés qui se trouvent dans son voisinage. La Régence produit beaucoup plus que cinq fruits et légumes. C'est l'un des plus beaux pays de chasse du monde. Tous les animaux y passent dans la description de Dunant.
Une des spécialités de l'artisanat tunisien est la fabrication de chéchias, exportées dans tous les pays musulmans. On termine par la description des monnaies tunisiennes : le boumia, le boukamsin, le bouochérine, le bouachra, le boukamsa, le bouarba, le boulotta, le bourialin, ouf ! Mais il y a aussi le bourriez, la nusria, le bourboô, la boussette, la caroube, l'aspre, le tels. Anciennement, on avait encore la bourbina ...
VILLES ET LOCALITÉS DIVERSES
Après une description touristique détaillée de plusieurs villes, Dunant est fasciné par les lions. Il s'ensuit une ode au roi du Désert :
- son port majestueux est d'une dignité superbe ;
- il est doué d'une force à nulle autre pareille ;
- son regard magnétique commande le respect et remplit de terreur ;
- il est plein de souplesse et d'une élégance mâle et vigoureuse.
Après dix-huit autres "signes particuliers", Dunant termine en beauté : "On trouve dans la Régence trois espèces de lions : le lion noir-brun, qui est le plus terrible, quoiqu'un peu moins gros que les autres, et qui est plus rare. Le lion fauve et le lion gris-fauve diffèrent peu l'un de l'autre".
RELIGION ET LITTÉRATURE. ANNÉE MUSULMANE
Après l'énumération des cinq piliers de l'Islam, Dunant fait un chapitre qu'on pourrait intituler "L'Islam pour les nuls" : tout ce qu'il faut savoir sur cette religion et sur ceux qui la pratiquent, avec en prime une liste de proverbes en usage en Tunisie, les salutations d'usage :
l'énumération des mois du calendrier musulman : moharem, safari, rabi el-ewel, rabi el-tani, joumad el-ewel, joumad el-tank, red geb, chaman, ramdam, schavol, kado, hadja.
Ajoutez les jours de la semaine … Qu'est ce qu'est le Kiblé ? "C'est le point du ciel vers lequel les musulmans se tournent en faisant la prière cinq fois dans les vingt-quatre heures". Comme nous aimons bien vérifier nos sources, nous avons trouvé ceci :
ESCLAVAGE
À la fin du XVIII ème siècle, il y avait encore beaucoup d'esclaves chrétiens à Tunis, surtout des Italiens. Le rachat des esclaves appartenant au bey était fixé à deux cent trente sequins vénitiens pour les matelots, jusqu'à quatre cent soixante pour les capitaines et les femmes de tout âge. "Le sort des esclaves était en général fort doux" dixit Chateaubriand, qui était aussi spécialisé dans la collecte des fonds et les négociations, de passage à Tunis.
L'esclavage des chrétiens a été aboli en mai 1816, pendant la semaine de Pâques, sous le règne de Mahmoud-Bey, fils de Hammouda-Pacha. Mais les esclaves pouvaient économiser pour se racheter ou étaient souvent affranchi à leur retraite. Suivent quelques considérations pas vraiment à l'avantage de la pratique de l'esclavage par les Américains …
DES MAURES, DES ARABES, DES KABYLES
Les Maures de Tunis descendent, en partie, des Maures d'Espagne, ou de Sicile, de Turquie, ou de marins s'étant convertis à l'Islam ( pour ne plus être esclaves ). Les Maures se marient entre eux ; ils ne voudraient pas contracter d'alliance avec les Bédouins, et , d'un autre côté, un Arabe nomade ne voudrait pas donner sa fille à un Maure.
Le Maure est amoureux du merveilleux, de la musique et de la poésie, des fleurs et des parfums. Il aime les récits, les contes et les légendes, il est riche d'imagination, et s'exprime en termes choisis.
Et vous aurez en prime le nom de tous les vêtements pour hommes : chéchia, alarakia, djemala, farmela, sadria, abaïa, smala, séroual, nous en passons … et en nombre moindre pour les femmes.
L'Arabe pur ne connaît de mesure ni dans l'amour, ni dans la haine. Il est chevaleresque et guerrier, aristocrate et féodal. Il aime le bruit et la fantasia. Il est brave et courageux, intrépide et énergique … Il est fidèle à la parole donnée, quoique rempli de ruse, de souplesse et de finesse, etc.
Un hôte est sacré, et en cette qualité un Arabe est en sécurité même chez son ennemi le plus acharné … Les musulmans offrent toujours l'hospitalité au nom de Dieu et l'étranger qui arrive dans les douars arabes y est désigné comme étant "l'hôte de Dieu".
Dunant souligne quand même quelques défauts chez les uns et les autres, mais notre site n'ayant pas pour habitude de relayer les opinions défavorable, vous serez donc obligé, s'il vous plait, de vous référer directement à son livre, et vous aurez en prime la vraie recette du couscoussou, ainsi que les salutations musulmanes avec leur traduction en arabe.
COUTUMES ET SUPERSTITIONS DES JUIFS DE TUNIS
Plus de quarante mille Juifs habitent la ville de Tunis. Les Musulmans montrèrent plus d'humanité que les Chrétiens à l'égard des Juifs ; toutefois le Turcs les soumirent à mille vexations et les chargèrent d'impôts arbitraires.
Même remarque concernant les quelques défauts des Juifs que pour les Maures et les Arabes, même punition.
Les Juifs ont un quartier à eux dans la ville de Tunis, et ne peuvent habiter ailleurs ; ils ont plusieurs synagogues, onze grands-rabbins et trois vice-rabbins. Ils observent strictement leurs fêtes religieuses. Quant aux mariages, le protocole est suivi scrupuleusement. Dunant en livre fidèlement la procédure : il y en a pour quatre pages !
Avant leur émancipation, les Juifs de Tunis étaient l'objet d'un mépris profond et universel, auquel ils se sont habitués. Chez eux, aucun mélange de race n'a jamais lieu et ils ne s'allient qu'entre eux. Ils se soutiennent les uns les autres …
SOCIÉTÉ ET POPULATION EUROPÉENNES
À Tunis la société qui est fort choisie, est en même temps instruite, affable, obligeante et hospitalière. Cette société reçoit souvent la visite de touristes distingués, soit par leur mérite ou leur talent scientifique. Les dames qui sont généralement remarquables par leur beauté, et mieux encore par leurs qualités et leur amabilité, parlent plusieurs langues et leur conversation réunit l'utile à l'agréable.
Les homme, malgré leurs occupations diplomatiques ou commerciales savent trouver du temps pour cultiver leur esprit, et s'occuper des arts comme aussi pour obliger les voyageurs qui leur sont recommandés et leur fournir des directions et des renseignements précieux.
Le bey, qui est animé d'un esprit de grande tolérance, emploie, comme ses prédécesseurs, beaucoup d'Européens soit dans la haute administration des affaires, soit dans les arts et métiers, la mécanique, l'armée, la médecine et chirurgie, les écoles industrielles et militaires.
Le bey est grand amateur de peinture, de sculpture et de ciselure. Mieux ! On ne demande aucun passeport au voyageur qui débarque à Tunis !
Faut-il vraiment fermer ce livre idyllique ?