jeudi 12 décembre 2013

CARTHAGE PUNIQUE ET ROMAINE



Création le 9 décembre 2013

Pendant la deuxième guerre mondiale, l'ineffable Jean-Hérold Paqui, collaborateur à la radio française, terminait invariablement ses diatribes par :
- L'Angleterre, comme Carthage, sera détruite !

Ce à quoi la Bibici anglaise rétorquait par cette ritournelle médiatique :
- Radio Paris ment, radio Paris ment, radio Paris est allemand !

Revenons 2800 ans en arrière : la fondation de Carthage, "la ville nouvelle". Elissa, fatiguée par une longue navigation et se liant d'amitié avec la population, acheta autant de terrain qu’en pourrait couvrir une peau de bœuf ( byrsa ). Elle découpa cette peau en une lanière si fine qu'elle délimita le périmètre d'une grande enceinte. Plus prosaïquement, les Tyriens , ou Cananéens ( appelés maintenant Phéniciens ) - peuple marchand et pacifique - quelque peu inquiets de l'expansionnisme guerrier assyrien,  voulurent s'aménager une base arrière sérieuse, au choix parmi les nombreuses petites colonies qu'ils avaient crées sur les côtes de l'ifryquia.

Le site de Carthage était stratégique en Méditerranée, et on devait pouvoir y construire un port digne de ce nom. Deux cents ans plus tard, Rome s'était créée, plus à l'intérieur des terres. Pendant des siècles, les deux villes luttèrent pour affermir leur influence respective.

Alors que Rome puisait dans le réservoir humain de l'Italie, Carthage, implantée en pays berbère, enrôlait dans son armée des mercenaires ( gaulois ? ) rétribués par l'argent de mines d'Ibérie ( l'Espagne, et non la Géorgie ). Trois guerres, dominées par la personnalité d'Hannibal, décidèrent le Sénat romain d'en finir avec Carthage, poussé par les anathèmes de Caton.

Celui-ci arrivait au Sénat avec un panier de figues fraîches, cueillies en principe près de Carthage, - ceci pour montrer la proximité du danger - et terminait toutes ses interventions par un "Carthago delenda est !" ( il faut détruire Carthage ! ).

 Un corps expéditionnaire, commandé par Scipion "l'Africain", avec l'aide de la cavalerie numide du prince Massinissa, avait eu raison de l'armée carthaginoise à la bataille de Zama, malgré la charge de ses éléphants. Il faut noter qu'Hannibal, au lieu de superviser ses lignes, s'est engagé dans un baroud d'honneur avec Massinissa, le blessant, mais perdant pendant ce temps-là le contrôle tactique de son armée.

À ce propos, une anecdote : lors de la libération de la Tunisie de l'occupation allemande, Churchill organisa une tournée des chefs alliés vers le champ de bataille le plus décisif selon lui. À la surprise de ses compagnons, il les entraîna dans un lieu inconnu et leur dit : "Ici, c'est Zama. Si Scipion n'avait pas vaincu Hannibal, nous porterions des djellabas, et nous parlerions arabe !".

Restait à détruire Carthage.

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Nos sources :

Le Professeur M'Hamed Hassine Fantar, professeur émérite d'histoire et d'archéologie à l'Université de Tunis, et ancien Directeur général de l'institut national tunisien du Patrimoine, chargé des études phéniciennes et puniques, dont il a organisé en particulier le VII ème Congrès en 2009 ( voir l'intéressant site ).
http://www.mhamed-hassine-fantar.com/index.php?option=com_articles&task=display_detail_articles&id_article=44&lang=fr
 



Jean Tommy-Martin a été maire de Radès, qui abrite le premier port de commerce de la Tunisie. Dans un ouvrage - hors commerce - en date de 1952, il s'est fait le guide éclairé du voyageur des villes antiques, en particulier de la Carthage chrétienne.
                                 Port de Radès

Crédits photographiques : Professeur Fantar, Éditions Alif et Wikipedia.

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Le siège de Carthage a duré trois ans. Pourquoi ?

Les Consuls, commandant en chef, étaient élus par le peuple, et leur commandement ne durait qu'une année. On demeure confondu par l'absurdité d'un tel système, mais la République romaine a toujours vécu dans la crainte d'un chef militaire prolongeant son pouvoir au-delà du terme de sa dictature.

La prise de Carthage affaiblie paraissait facile et l'attrait d'un riche pillage décida des élections des consuls. Ce furent deux orateurs habiles ( dans les deux premières années ) qui obtinrent le commandement mais leur incapacité militaire les conduisit à des échecs complets. La troisième année, les électeurs, lassés, confièrent le commandement à Scipion Émilien.


Celui-ci fit construire une digue pour bloquer le ravitaillement de Carthage par la mer. Le moment voulu, l'attaque romaine décisive dura sept jours et sept nuits. 


Ce fut un temps marquant de la polyorcétique ( science des fortifications )

La flotte de guerre carthaginoise ne pouvait prendre la mer qu'en passant par le bassin civil, occupé par les Romains. Les Carthaginois reconstituèrent leur flotte avec les bois des maisons démolies et les cordages avec les cheveux de leurs femmes. 

 Au premier plan, le port de commerce. Au second plan, le port militaire dont l'accès passait par le port de commerce

Ils creusèrent un canal pour relier le bassin militaire à la mer, à la grande surprise de la flotte romaine ; mais c'était trop tard, cette démonstration navale ne fit pas retourner la situation et trente mille habitants se rendirent sur la promesse d'avoir la vie sauve. Pendant dix jours et dix nuits, la ville fut pillée et consumée par le feu. Scipion fut pris de pitié devant cette dévastation.

La ville fut abandonnée pendant plus de cent ans, sans habitants et sans cultures. Mais Jules César fit un rêve qui lui intima l'ordre de reconstruire la ville.

Carthage, la romaine, peuplée de 300 000 habitants, ressuscitée par Auguste connut à son tour sept autres siècles de gloire - malgré l'épisode barbare des Vandales - jusqu'à sa prise par les Arabes vers l'an 700


Villa "Volière" aux mosaïques d'oiseaux 

Sa destruction a duré près d'un millier d'années. Elle était facilité par la proximité de la mer :


" Ce ne sont pas seulement les Africains qui ont fait des monuments de Carthage une vaste carrière d'où furent extraits les marbres précieux, les revêtements d'onyx et de porphyre, les chapiteaux aux ciselures délicates pour la construction de Tunis de de Kairouan … Les cités d'Europe enrichirent leurs palais et leurs cathédrales, les Églises de Pise et  de Florence notamment. Mais aussi Gênes et Constantinople. L'invendu était traité dans les fours à chaux."

"Un Calife de Cordoue fit enlever en une seule expédition plus de mille colonnes pour la Mosquée de Cordoue. Vers la même époque, ( XI ème siècle ) les Pisans enlevaient à Carthage les 58 colonnes qui ornent la  façade de la cathédrale de Pise."





Les historiens n'ont pas élucidé les causes de la disparition totale du christianisme en Afrique du Nord. Il n'a pas été détruit par les Arabes. Il semble qu'il se soit éteint progressivement au cours des siècles de la domination musulmane, vraisemblablement par la fuite des élites avec leurs richesses et du clergé ...


Mais la colonisation romaine ne s'est pas limitée à Carthage. 
Deux exemples :

- DOUGGA - Au II ème siècle, les habitants de Dougga décidèrent de romaniser leur petite patrie. En quelques années, ils rasèrent des parties importantes de la ville ancienne et édifièrent aux frais des plus riches familles, vraisemblablement des Berbères romanisés, possesseurs de grandes fortunes d'origine agricole.





 Lorsque la troisième légion Augusta, refusant de reconnaître comme empereur le vieux proconsul Gordien, quitte Lambese et pille toutes les villes fidèles à l'empereur. Dougga ne s'en relève pas.

http://www.dougga.rnrt.tn/

- THYSDRUS ( El Djem ) Sa prospérité provenait  de la culture du blé; Elle possédait une triple enceinte. Jules César, qui manquait de matériel de siège, n'osa pas tenter une attaque de vive force. IL attendit patiemment la victoire de Thapsus sur les Pompéiens pour occuper la vile. Il n'exigea cependant de la ville ruinée qu'une contribution de guerre en blé. Il compléta les défenses de la ville par de fortes murailles et elle devint le grenier de l'armée romaine à cause de la fertilité des terres du voisinage. D'après Hérodien, la campagne était extrêmement peuplée.

Sous le règne de l'empereur Commode, il y eut une période de tolérance pour les Chrétiens. C'est ainsi qu'un proconsul Cincius Severus, tenant ses assises dans la ville, faisait dicter secrètement aux Chrétiens les réponses équivoques qu'ils devaient faire pour sauver les apparence et permettre leur acquittement. Dénoncé, il fut mis à mort sous Septime Sévère. ( 197 )





Cette ville est célèbre pour son amphithéâtre, le plus grand de l'Empire romain ( entre 27 000 et 30 000 spectateurs ) après le Colisée de Rome (45 000 spectateurs) et celui de Capoue.

En bonus, sans parler des basiliques qui fleurirent à Carthage comme la prestigieuse basilique dite "Damous el Karita", qui comportait neuf nefs, voici un "moule à hosties".





Ce beau souvenir, d'archéologie chrétienne, est la reproduction parfaite d'une Hostie de Messe au temps de Saint Augustin (Vème siècle environ). Son moule en terre cuite fut découvert en Tunisie dans les ruines d'une église près de Jébéniana (32 km au Nord-Est de Sfax) vers 1920 et offert au musée du Bardo, près de Tunis.


Ce moule comportait une Poignée permettant son utilisation répétée sur une pâte préparée à l'avance, comme un gros cachet laissant sont empreinte et sa découpe.


Il fut notamment remarqué par Jean Tommy-Martin, passionné d'antiquité chrétienne, qui contribua dès avant la guerre a en diffuser le moulage en plâtre, spécialement dans sa famille et auprès de ses amis.


Le célèbre médailleur Arthus Bertrand ( Paris ) en a acquit  récemment le modèle et en effectue la reproduction sous forme de médailles de différentes tailles.


Cerf figurant l'âme du chrétien assoiffé de Dieu, au milieu de ceps de vigne. ( fin du III siècle début du IV siècle )." « Sicut desiderat cervus ad fontes aquarum, ita desiderat anima mea ad te Deus. » ( De même que le cerf aspire à la fontaine des eaux, de même mon âme aspire à Toi, mon Dieu ) PS. 41-2.

Nous laissons la conclusion à Jean Tommy-Martin :


La Tunisie romaine a nourri une population qui était à peu près le double de la population en 1952, et elle trouvait encore moyen d'expédier chaque année à Rome la flotte de l'annone ( impôt en nature ) chargée de vivres de toutes sortes et de construire des merveilles.